Ornements

Les trois bagues de C.

Quand on entre dans l’appartement XVIII°, on est cueilli par la sonorité apaisante de la viole de gambe. Les partitions de Marin Marin, mises en musique par Jordi Savall, ne dénotent pas dans cet intérieur où un riche et savant désordre le mêle au chic du mobilier ancien.

Nimbus, le chien, vient calmement saluer la visiteuse que je suis.

C. m’offre un thé – thé blanc aux fleurs exquises, parfumé sans être trop sucré. Tandis que l’eau chauffe dans la cuisine, je laisse mes doigts glisser sur le velours de la chaise, et mon regard s’égare derrière le voile blanc des rideaux. Le ciel sombre rappelle que l’orage menace.

Quelques cris, des rires qui s’échappent d’un couloir : les enfants ne
sont pas loin, ceux d’ici et des appartements voisins – les belles
portes rouges ouvertes sur l’escalier de pierre leur laissent la liberté
d’aller et venir selon leurs envie de jeux et les besoins des parents.
C. leur enjoint gentiment d’aller ailleurs, pour nous laisser le calme
nécessaire à cette rencontre.

Elle revient d’une chambre avec un petit coffret de verre et de laiton, où sur un lit de mousse encore verte reposent trois bagues, et la plume chatoyante d’un paon.

Trois bagues, pour dire trois amours : celui d’un homme, celui pour deux enfants.

la première bague

La première, finement ciselée dans l’or blanc et sertie de minuscules diamants, fut offerte dans un écrin, alors que C. venait de donner la vie pour la première fois. Une bague adorée – bien qu’à l’instant où C. la reçut, toute l’émotion possible venait d’être traversée dans la longue aventure de la naissance… Elle craignit même, sur le moment, une demande en mariage !

« Elle ressemble bien à Louison – fine, délicate, et une vraie présence. Elle a un côté art nouveau, voire byzantin, mais c’est en fait une bague contemporaine. J. l’a choisie dans la bijouterie de ma marraine, à Tours. »

Lorsque sa fille sera grande – devenue maman, « si elle le souhaite », ou bien pour ses trente ans – la bague lui reviendra.

la chevalière

La seconde, chevalière minuscule aux armoiries de la belle-famille, a été refaite pour s’adapter aux doigts si fins de C. C’est à l’occasion de la naissance de Robin, son deuxième enfant, qu’elle l’a reçue – cadeau de sa belle-maman, qui elle-même l’avait reçue de son mari.

Un présent d’une portée symbolique complexe, car il parle autant d’intronisation dans la famille que de filiation – du grand-père au petit-fils, à qui elle reviendra un jour… (à lui, ou à la personne qu’il aimera)… Pour l’instant, C. la porte en compagnie d’une autre bague dont les tons rappellent l’or de la première et la décalent un peu, la mettant en valeur tout en allégeant la solennité qui s’y rattache.


Les chevalières des grands-parents paternels sont aujourd’hui réunies sous le même toit. En effet, la chevalière du grand-père était d’abord revenue au frère aîné de J., mais ce dernier la lui a offerte pour ses trente ans. Ainsi nous parlent-elle d’un temps ancien où l’on apposait son sceau dans la cire, et d’un temps nouveau où l’on aime à se souvenir.

la troisième...

La dernière, avec sa marguerite de diamants, ne peut qu’attirer le regard – et fasciner, par ce qu’elle dit si clairement : « Je t’aime et je veux le prouver – à tes yeux, aux yeux de tous… ».

Et même si, comme il arrive parfois dans la vraie vie, la demande n’est pas arrivée au moment idoine, la bague n’a peut-être pas été celle imaginée, elle est là, maintenant.

Comme mémoire d’un instant où l’amour se déclare de cette manière si particulière – intime et sociale tout à la fois. Comme preuve d’un choix qui engage au-delà des cœurs et des corps, mémoire d’un futur à construire.

Offerte face à l’océan, elle en garde un éclat d’éternité, et le temps la fera aimer chaque jour un peu plus, et l’âge autorisera année après année à la porter davantage…

L’orage éclate. La salle de séjour s’emplit des sourds roulements du tonnerre. Il faut allumer quelques lampes – et laisser les bagues rejoindre l’ombre de leur écrin.

Je rechigne à enfiler ma cape de pluie, pas vraiment certaine d’être prête à quitter l’éclat de ces trois bagues, ni le charme de cet instant et de ce lieu. Le carreau se mouille de milliers de gouttes qui roulent et brillent, joyaux éphémères contre le noir du ciel…

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